Critique de Hardware, le génial film de Richard Stanley réalisé en 1990.
« Le monde d’aujourd’hui est plus proche d’Hardware qu’il ne l’était à l’époque de sa sortie » nous annonce Richard Stanley. Surpopulation, désastres environnementaux et drones militaires, force est de constater qu’il n’a pas forcément tort. Son film est une expérience brutale et sensorielle qui a étonnement bien survécu à l’épreuve du temps, un vrai film punk à redécouvrir d’urgence donc.

Richard Stanley revient d’Afghanistan, et de ses propres mots, Hardware sera sa thérapie. Le désert, les hommes devenant hystériques à force de combat, tout y est. Le réalisateur sud-africain appréhende le genre avec un pied dans le réel et c’est probablement ce qui permet à ce film culte de s’extraire aujourd’hui de la vague de rejetons ayant vu le jour à la suite de Terminator (Nemesis d’Albert Pyun pour n’en citer qu’un). Hardware est une vraie curiosité qui penche plus vers le film expérimental et arty que vers la série B d’action vouée à rester dans l’ombre du film de James Cameron. Dés sa première séquence, le film adopte un ton mélancolique qui le démarque immédiatement de tout venant. Un désert étouffant, une figure étrange au loin, des barbelés, une main mécanique qui sort du sable et puis un crâne de métal qu’on fait resurgir comme un fossile préhistorique. « J’ai rêvé qu’il pleuvait » dira le héros.
Comme le dit lui-même Richard Stanley, Hardware capte quelque chose qui est dans « l’air du temps » dans ces années quatre-vingt dix, une inquiétude face aux prouesses incroyables de la technologie sur le plan de la robotique et de l’informatique. Mais la grande force de son film est d’en faire le miroir sur deux pans bien distincts, l’un à l’échelle du monde, l’autre sur un plan plus intime et corporel. Le film embrasse ainsi les deux aspirations de la science-fiction moderne, le post-apo et l’altération génétique, comme elle culminera dix ans plus tard dans Matrix.
Sur le plan global tout d’abord, Hardware s’inspire évidemment des rues surpeuplées et hétéroclites de Blade Runner, un film qui pour Richard Stanley, sera le premier à s’éloigner d’une certaine tradition de la science-fiction où l’individualité à disparue sous un régime autoritaire. Des usines qui crachent une fumée toxique, un monde surpeuplé qui survit au raz du sol, des décharges de métal qui semblent sans fin : l’univers du manga Battle Angel Alita n’est pas loin, tout comme la sécheresse poisseuse des rues de Nirvana jusqu’aux inspirations plus comic-book du génial Johnny Mnemonic. La réussite du film réside au final dans la sobriété avec laquelle Stanley met en scène sa vision cauchemardesque. Sans se laisser aller à la prophétie fantaisiste, le film est parvenu à survivre aux années et à conserver une tenue visuelle solide.
Plus intéressant encore, ce plan intime sur lequel le film va rapidement se focaliser à travers le combat au corps à corps entre le droïde Mark-13 et le couple formé par Jill et Moses au sein de leur bunker. Devenant soudain un huit-clos, Hardware fait habilement de ce combat anecdotique entre deux humains et une machine, celui de toute l’humanité contre sa créature de Frankenstein (ici construite dans le but d’endiguer la surpopulation). Le nom du droïde « Mark-13 », idée géniale que Stanley aura sur le tournage à cause de son acteur Dylan McDermott qui venait sur le plateau avec sa bible, fait référence au passage : « No flesh will be spare » (« Aucune chair ne sera épargnée »), une sentence qui transforme cette peur propre aux années quatre-vingt dix de l’extinction humaine par les machines, en quelque chose de plus ancestral encore. Preuve en est, le génial Demon Seed qui dés les années soixante-dix comptait la bataille d’une femme contre l’invasion de la machine, annonçant le métal vivant de Tetsuo de Shinya Tsukamoto qui venait contaminer la peau et remplacer les membres (trois films qui n’écartent pas la peur de la procréation de l’homme par la machine d’ailleurs).
Richard Stanley contourne les contingences budgétaires par une mise en scène inspirée, prenant soin de filmer l’androïde soit par de furtifs plans serrés, soit tout entier de façon iconique dans le but d’en faire une menace aussi physique que mentale. Le combat vire à l’affrontement chaotique à travers lequel le réalisateur se livre à des expérimentations visuelles et sonores (on sent son expérience dans le clip musical), mêlant formes géométriques et images télévisées dans un déferlement dément d’idées sensorielles . Comme chez Tsukamoto (le très jeune âge des réalisateurs n’est pas un hasard), Stanley témoigne d’une hargne incroyable dans sa mise en scène et son montage. C’est probablement là que son expérience de la guerre s’exprime le plus, la violence de son film est proprement exténuante. En résulte un film inégal, forcément, presque miraculeux dans sa cohérence, mêlant une multiplicité d’influences plus ou moins bien digérées (Mad Max, le western spaghetti, jusqu’à Moebius et Dan O’Bannon), un vrai film punk, hargneux, une décharge électrique bruyante et chaotique qui constitue aujourd’hui une véritable capsule temporelle nous rappelant les peurs qui animaient les auteurs de l’époque. Une peur que Jill, artiste conceptuelle à ses heures, exprimera de la plus belle des manières dans le film : « Dans chacune de mes œuvres je me bat contre le métal et à chaque fois il gagne ».
Pour le plaisir, quelques photos de Stacey Travis, charismatique en diable dans le film.


