Liens vers mes articles pour Filmosphère, autre média web avec lequel j’ai commencé à écrire de façon sérieuse. A la différence de Roads Mag et aVoir-aLire, le site a disparu et mes articles avec. Les voici.
Sommaire:
- The corpse of Anna Fritz
- My life directed by Nicolas Winding Refn
- Tag
- La chambre interdite
- The visit – une rencontre extraterrestre
- 007 Spectre
- Yakuza Apocalypse
The corpse of Anna Fritz
Synopsis: Anna Fritz, une actrice célèbre à la beauté troublante, vient de décéder. Trois jeunes garçons se faufilent jusque dans la morgue où Anna repose, afin de la voir nue. Fascinés par la beauté de la jeune morte, ils décident de lui faire l’amour avant ses funérailles.
Soutenu par une réputation avantageuse, The corpse of Anna Fritz se révèle effectivement comme une jolie découverte, détournant habilement ce qu’on pouvait attendre de son synopsis d’une profonde noirceur. Passant du survival au rape and revenge, le film de Hèctor Hernández Vicens se structure comme une descente aux enfers prenante et dépasse son unité de lieu par un mélange des genres bienvenu. Jouant habilement de notre perception de l’acte nécrophile au cœur de l’intrigue et de l’empathie que nous développerons pour ses participants, The corpse of Anna Fritz se révèle être un spectacle étouffant qui pose son spectateur face à un dilemme moral passionnant.
En introduisant le corps d’Anna Fritz par des flash d’informations présentant ce corps caché par un drap mortuaire comme celui d’une grande actrice parfaite, sublime, extraordinaire, nous, spectateurs, sommes en attente de voir de nos propres yeux ce fameux corps d’Anna Fritz. Un procédé malicieux qui viendra se retourner contre nous lorsque la fascination malsaine de ces hommes pour cette célébrité prendra forme dans un acte nécrophile d’abord filmé de loin puis beaucoup plus frontalement. Si nous sommes loin du célèbre moyen métrage de Nacho Cerdà, Aftermath, et son espèce de normalité dans l’acte nécrophile, la séquence fait tout de même froid dans le dos. Notre façon de percevoir cet acte sera alors au cœur de l’intrigue de The corpse of Anna Fritz, d’abord un acte poussé par une fascination pour la célébrité, Hèctor Hernández Vicens prendra soin de retourner cette première perception pour jouer sur notre empathie envers les participants.
Assez habilement, notre empathie ira en effet plus aisément vers le plus faible des violeurs d’Anna Fritz. Sans en faire un élément primordial, le récit révèle au détour d’un seul dialogue la raison derrière cet enclin. Alors qu’Anna tente de convaincre son assaillant le plus en doute, elle lui révèle tout simplement qu’il « lui a redonné la vie ». Par cette mise en rapport soudaine de l’acte sexuel et de la renaissance d’Anna se transforme de nouveau notre approche de cet acte terrible. D’abord l’exécution morbide d’un fantasme lié à la célébrité, nous apprenons maintenant que la tendresse avec laquelle ce personnage exécuta l’acte fût plus ou moins responsable de son retour à la vie. Notre perception ayant à rebours changée, le réalisateur s’amusera à jouer de cette empathie envers ce personnage et nous posera habilement devant un dilemme moral passionnant : doit-il mourir alors qu’il est à la fois coupable d’un acte répréhensible et en même temps sauveur malencontreux d’Anna ?
Avec une réalisation sans esbroufe, un découpage fluide et des moments de tension implacables (notamment cette longue séquence ou Anna Fritz rampe pour fuir, retrouvant peu à peu l’usage de son corps), The corpse of Anna Fritz est une descente aux enfers en forme de machination infernale ou se forme une intrication d’événements et de réactions qui mènent à un final des plus jouissif et inattendu. On pense à Petits meurtres entre amis de Danny Boyle dans son premier tiers où les personnages, mis face à une situation sans retour, doivent prendre des décisions qui les poussent toujours plus loin vers le point de non-retour. Si le final en désarçonnera plus d’un, il constitue un vrai plaisir cinéphile dans lequel transparaît l’attachement des auteurs au genre et au cinéma d’exploitation. The corpse of Anna Fritz est en tout cas une franche réussite, rythmé, tendu et extrêmement ingénieux dans le dilemme moral qu’il propose. Une vraie proposition de cinéma en somme !
My life directed by Nicolas Winding Refn
Synopsis : Liv Corfixen est femme de réalisateur. Une position qui n’est pas toujours aisée, et elle tient à nous le prouver dans un documentaire qu’elle a entièrement écrit et réalisé. En obtenant le Prix de la mise en scène à Cannes en 2011 pour son film DRIVE, le Danois Nicolas Winding Refn jouit d’un statut de cinéaste culte : adulé par le public, consacré par la critique, il a désormais pour principale préoccupation de rendre ce succès pérenne. Ainsi, lorsqu’il début le tournage de son nouveau projet ONLY GOD FORGIVES en 2013, il s’inquiète : ce film, plus confidentiel, saura-t-il répondre aux attentes de ses spectateurs ? Liv s’inquiète aussi, mais surtout pour son mari, ses enfants, et pour elle-même, car si Nicolas se jette à corps perdu dans son film, il semble toutefois mettre de côté sa propre famille. Elle décide donc de prendre la caméra, et de faire de Nicolas un sujet d’observation, afin de nous offrir une vision large de la vie du réalisateur, un portrait à la fois intime et instructif, à mi-chemin entre le reportage et le making-of.
C’est la seconde fois que nous avons le privilège de pénétrer l’intimité du cinéaste danois Nicolas Winding Refn et étudier de l’intérieur son rapport au cinéma et le rôle que ce dernier tient dans sa famille. En effet, en 2006 sortait Gambler, un documentaire disponible dans le coffret de la trilogie Pusher qui revenait sur la naissance des deux suites que Refn donna à l’incroyable succès du premier volet qui lui valu d’être qualifié de « Scorsese danois ». Et si nous sommes plus de dix ans plus tard avec My life directed by Nicolas Winding Refn, la situation est similaire en un point, le réalisateur est soumis à la pression terrible du succès de son film précédent, Pusher à l’époque, Drive aujourd’hui. Toujours obsédé par son intégrité artistique, il se livre là encore sans retenue sur sa peur de se répéter, de décevoir, se plongeant dans de longues remises en question maladives : « Au moins avec Drive, les gens n’attendaient rien ». Si Refn aime à construire sa propre légende, racontant aujourd’hui que le projet Only God Forgives fût consciemment pensé comme un objet non commercial voué à détruire la hype acquise avec Drive, le documentaire de sa femme Liv Corfixen vient rappeler la dure réalité d’un réalisateur perdu dans sa propre œuvre : « Ça fait trois ans que je travaille sur ce film et je ne sais toujours pas de quoi il parle ». Nicolas Winding Refn envisage Only God Forgives comme l’exact contraire de Drive, mettant en scène un héros impotent et dont les actions sont sans cesse vouées à l’échec, l’aspect si hermétique du film semblant ainsi se forcer à lui plutôt que résulter d’une tactique préétablie.
My life directed by Nicolas Winding Refn le montre donc principalement chez lui à l’époque du tournage du film à Bangkok, dans un luxueux appartement dans lequel il sombre comme à chaque film dans une effroyable dépression mettant à mal sa famille, laissant sa femme s’occuper seule des enfants. Et si Gambler montrait à la perfection comment la situation familiale de Refn, criblé de dettes après le four commercial du pourtant superbe Inside Job, récent père, faisait son chemin dans les scénarios de Pusher II et Pusher III, le film de sa femme qu’elle admet être le « début de notre thérapie de couple » agit d’un même mouvement, le réalisateur reflétant sur sa relation de plus de vingt ans avec Liv Corfixen en ces termes : « Liv a été ma seule petite-amie, en un sens on peut dire que je suis sorti de ma mère pour directement entrer en elle ». Tout rapport avec la fameuse scène de la pénétration du fils dans sa mère de Only God Forgives se faisant dés lors inévitable. Mais comme l’indique son titre, My life directed by Nicolas Winding Refn n’est pas un film sur Refn mais bien sur sa relation avec sa femme. Placé au tout début du documentaire, une scène vient montrer le réalisateur assis à même le sol face à son ordinateur ordonner à sa femme de se mettre dans le coin opposé pour faire un panoramique sur lui, ce à quoi Liv Corfixen répond en se déplaçant vers la vitre de l’appartement pour capturer son propre reflet : Refn n’aura pas son mot à dire dans la fabrication du documentaire et se restreindra à un visionnage tardif, une fois le film monté et terminé.
Ayant mis de côté sa carrière d’actrice pour s’occuper de leurs enfants, Liv se retrouve en effet à Bangkok avec un mari obsédé par son œuvre mais parvient tout de même à tirer le meilleur des situations, alternant disputes et situations cocasses liées au tournage. L’une d’elle voit Winding Refn et Ryan Gosling se déplacer à une soirée de gala en échange d’une valise de cash destinée à payer la police pour pouvoir tourner sans problème. Une autre particulièrement savoureuse montre Gosling signer des autographes alors que Refn l’attend plus loin dans une voiture, la mine déconfite. Sans tourner au « Behind the scenes » ni s’élever au niveau d’un Aux coeurs des ténèbres – l’apocalypse d’un metteur en scène de Eleanor Coppola, le film de Liv Corfixen prend des airs de film thérapeutique, destiné à exorciser les difficultés du couple à survivre à Only God Forgives. Cela ne l’empêche cependant pas de capturer des images qui raviront les fans du cinéaste et de son acteur fétiche, notamment lorsque Ryan Gosling reproduit en direct le mouvement des mains de Refn pour le besoin d’un plan de Only God Forgives ou lorsqu’il offre à Gosling la fameuse couverture qu’il porte autour de sa taille depuis Drive pour veiller au bon déroulement de ses tournages (un passage de flambeau qui se révélera tangible dans Lost River, le premier film de Gosling).
Souvent décrié pour son arrogance, Refn répétant à qui veut l’entendre qu’Only God Forgives est un chef d’œuvre, nul ne peut nier après le visionnage de ces deux documentaires que l’homme n’en reste pas moins un artiste passionné, empreint de nombreux doutes et bien plus soucieux de la réception publique de ses films qu’il ne le laisse transparaître. Empreint de superstition, voyant notamment dans la pluie s’abattant sur Cannes un mauvais présage avant la projection de Only God Forgives, le couple Refn/Corfixen se laisse par deux fois tirer les cartes par Alejandro Jodorowsky, l’un questionnant la voie à prendre pour son film, l’autre demandant conseil sur la meilleure manière d’aider son mari.
My life directed by Nicolas Winding Refn est un documentaire indispensable, au même titre que Gambler, pour tous les admirateurs du génial réalisateur de Bronson et Valhala Rising. En montrant tous deux l’envers du décor, explorant le processus créatif douloureux de Refn qui se pousse à haïr son propre film « pour mieux retomber amoureux de lui, comme dans un mariage », se plongeant tout entier dans ses doutes pour tirer le meilleur de lui même (« La peur est un mécanisme incroyable, c’est juste difficile de vivre avec »), My life directed by Nicolas Winding Refn permet, plus que ne le faisait Gambler, d’attester de l’importance de sa femme dans ce processus, Refn avouant chercher constamment son approbation dans son travail et permet de lier de façon factuelle ses films à sa propre vie et confirmer l’approche si personnelle de Winding Refn à son cinéma.
Tag
Synopsis: Unique rescapée d’une attaque surnaturelle qui a décimé tout son car scolaire, Mitsuko, lycéenne qui a la faculté de voir les morts prochaines, va tenter de sauver ses camarades d’école d’un assaut de fantômes maléfiques.
Touchant un point sensible entre espoir béât et nihilisme total, Sono Sion donne ses lettres de noblesse au terme « tragi-comédie » livrant de ce fait l’un des plus beaux films sur l’arrivée à l’âge adulte, célébrant la rébellion comme seule issue à une vie en forme de jeu vidéo dans lequel nos destins sont programmés.
Le temps qu’une plume tombe au sol et nous avons déjà vécu des milliards de vies différentes. C’est le postulat de science-fiction de Tag, l’un des sept films tournés par Sono Sion cette année. Mais ne croyez pas à un travail à la chaîne laissant chaque nouveau rejeton bâclé, dés sa première séquence, Tag affiche une mise en scène brillante, enchaînant avec fluidité travellings et plans aériens ahurissants. Ces vues du ciel, loin d’être gratuites, indiquent dans chaque séquence l’infini des possibles qu’est la vie adolescente. En suivant ces gamines sécher les cours, Sono Sion glorifie ce petit acte effronté et l’érige en mode de vie. Filmant ses héroïnes avec une tendresse touchante, Sion célèbre la rébellion comme seule issue à nos vies aux destins tracés.
Parce que pour Sono Sion, cette multitude de destins possibles, qui dépendent d’un choix qui peut paraître anodin, est un enfer inextricable. Mitsuko va en faire la douloureuse expérience, projetée tour à tour dans la vie étudiante, dans un mariage puis dans un futur bien sombre, changeant à chaque fois d’allure et d’identité. Si il y a un infini dans Tag, c’est un infini de vies plus isolantes les unes que les autres. Vie après vie, Mitsuko subit, projetée dans des situations (l’école, le mariage, l’accomplissement professionnel) qu’elle n’a jamais choisit.
Cette multitude de destins auxquels Mitsuko prend part font converger le film vers des récits très différents. Cet infini des possibles, c’est aussi celui de Sono Sion qui ne cesse de multiplier les genres dans chacun de ses films. Sur ce point, Tag oscille entre la chronique adolescente, le film gore, de guerre et de science-fiction et passe en quelques minutes d’un crocodile dévorant l’entre-jambe d’une écolière à un ralenti tout en douceur sur des filles se lançant un coussin en riant. Les nombreux déchaînements de violence contrastant avec la tendresse émouvante avec laquelle Sono Sion filme ces jeunes écolières.
Dés lors que Mitsuko sera projetée dans ces différentes vies, toute la finalité de Tag consistera à retrouver l’allégresse de la séquence de rébellion scolaire. Mitsuko devra retrouver l’esprit rebelle qui la poussa à sécher les cours, Tag devenant dés lors un récit exagéré sur l’arrivée à l’âge adulte et la volonté de ne pas subir sa vie mais en décider les tenants et aboutissants. Dans une veine quasi vidéoludique dans sa structure qui se révèle au centre de l’intrigue, Tag est un film d’une implacable logique et d’une fluidité exemplaire, le jeu vidéo agissant comme une métaphore ingénieuse de l’inéluctabilité des événements. Pour s’en sortir, Mitsuko devra faire quelque chose inattendu, de spontané et ainsi contrecarrer les plans de l’univers.
Le désir de rébellion tant attendu de Mitsuko ne prendra ainsi forme qu’à un moment bien précis, celui de la perte de sa virginité. Car à l’intérieur de ces différents destins, c’est l’innocence qui est sans cesse maltraitée, dans chaque vie, chaque situation, cette innocence est entachée, souillée. Ce déterminisme là est central dans Tag. La perte de la virginité devenant alors le dernier rempart contre lequel Mitsuko devra lutter, quitte à le payer de sa vie. Et malgré le ton globalement humoristique du film, la seule issue donnée par Sono Sion à cette vie prédite à l’avance, vouée au désenchantement, est le suicide, réactivant de ce fait le thème qui l’intéressait déjà dans son célèbre Suicide Club.
Malgré tout, Tag est un film rempli d’espoir, nous insurgeant à nous rebeller contre la vie qui nous est donnée. Aussi tendre que violent, c’est un film unique, infiniment sombre et pourtant empreint d’un espoir presque désuet. Si il y a effectivement un champ de possibles infini, il ne mène qu’a différentes vies programmées. Face à cet infini là, Sono Sion nous insurge à nous échapper et quelque part, à sécher les cours de nouveau. Lorsque enfin cette caméra aérienne ne peut plus suivre Mitsuko, ne parvenant plus à l’enfermer dans le plan, c’est qu’elle a enfin décidé de son destin, l’infini est dorénavant déterminé, la menace a disparue et elle est enfin libre.
La chambre interdite
Synopsis: Guy Maddin est parti à la recherche de 31 films perdus, de leurs personnages et histoires imaginés par Hitchcock, Lubitsch, Ozu, Stroheim et autres grands maîtres. Les acteurs se sont littéralement laissés posséder par l’âme de ces oeuvres au cours d’un tournage où chaque journée commençait par une véritable séance de spiritisme invoquant l’esprit de ces films.
Le nouveau film de Guy Maddin est possiblement le moins accessible de son auteur. Proposition radicale à la trame narrative éclatée et à l’identité visuelle unique, La chambre interdite est une œuvre expérimentale aussi sublime qu’hermétique, un trip à réserver aux plus aventureux !
Tout disparaît tout le temps dans La chambre interdite. Les personnages, les histoires, tout se perd dans un tourbillon de récits sans rapports entre eux et dont on perd le fil. C’est là toute la fascination de Guy Maddin pour le passé qui explose au grand jour. Déjà dans son fabuleux Winnipeg mon amour, transparaissait de façon quasi documentaire son attrait pour les choses révolues, l’enfance passée et la difficulté à dire adieu. Ici ce n’est plus à l’enfance mais au cinéma qu’il faut dire adieu. Films perdus, morceaux de films perdus, idées de films perdus, tout cela forme ce que Maddin appelle la « matière » de son film. La chambre interdite donne ainsi l’impression de s’évaporer pendant sa diffusion, comme si nous voyons ces images pour la dernière fois.
Ces images uniques, faîtes de surimpressions constantes, au ton presque pictural jouant des lignes de fuites entre personnages et décors sont toujours soumises à l’obsession de Guy Maddin pour le cinéma muet, en particulier pour les intertitres, les acteurs en surjeu et le découpage direct et sans fioriture. On pense à l’art de Dave Mckean, ses couvertures pour Neil Gaiman notamment et même à son film MirrorMask. Avec ses histoires sommaires quoique volontairement trop alambiquées pour les suivre toutes, c’est bel et bien la « matière » dont parle Maddin qui doit susciter l’intérêt et non les récits qu’il met en place. Images troubles, changeantes, accélérées, ralenties, brouillées, La chambre interdite déborde de toutes parts dans un déchaînement continu voué à proposer une expérience cinématographique unique éloignée de celle qu’on attend d’un film « normal ». Le film ne joue pas sur des sentiments, des émotions, mais sur une trame narrative et des images si uniques qu’elles se suffisent à elles même.
Soit on s’ennuie ferme soit on reste captivé par ce flot incessant d’images épileptiques. Comme nombre d’œuvres aussi radicales et expérimentales (certains Jodorowsky, Sono Sion, Noé par exemple), on a l’impression d’un « trop ». La chambre interdite est trop long, développe trop d’idées, trop d’envies. Mais comme chez les cinéastes cités plus haut, ces films proposent des expériences totales et La chambre interdite est une des plus passionnante.
The visit – une rencontre extraterrestre
Synopsis: Un événement encore inédit : première rencontre de l’homme avec une forme de vie intelligente venue de l’espace. Avec le « Bureau des affaires spatiales de l’ONU » et des experts d’agences spatiales, le film explore le scénario d’un premier contact. Un voyage au-delà de la perspective terrienne, dévoilant les peurs, les espoirs et les rites d’une espèce contrainte à faire face à la fois à la vie extraterrestre et à sa propre image.
Ralentis, musique additionnelle, illustrations abstraites d’idées, interviews redécoupées, Michael Madsen confirme après Into Eternity, son approche unique du documentaire. Avec pour note d’intention l’envie de faire un film destiné aux extra-terrestres visitant notre planète, illustrant à l’écran autant les propos scientifiques que la part de rêve et de fantasme qui leurs sont attachés, The Visit est un objet étrange, parfois confus mais toujours passionnant.
En filmant les Hommes qui s’affairent à leurs vies par des ralentis qui fixent quasiment l’image, en multipliant les vues du ciel sur toute la surface du globe, The Visit présente aux visiteurs, une vue concrète de la vie sur terre et des constructions de l’Homme. The Visit tente de montrer de façon globale l’œuvre de l’Homme sur cette planète alors qu’une autre espèce lui rend visite. D’autre part, le film se veut une « reconstitution » de cette visite extraterrestre sur terre du point de vue des humains. Comment réagir, comment procéder ? Les questions sont posées à d’éminents membres de diverses stations spatiales, avocat spécialisé dans la logistique interstellaire où responsable de l’éthique dans le domaine extra-terrestre. C’est dans cette partie là que The Visit se fait le plus brouillon, Michael Madsen semblant de loin préférer le rêve au concret. Très vite, le propos du film tournera autour de notre rapport à ces questions plutôt qu’à ces questions elles même. Qu’est ce qu’être humain ? Quelle est sa place dans l’univers ? A t-il fait le bien ou le mal sur terre ? Comment nous définissons nous par rapport à l’autre ? Comment réagissons nous par rapport à ce qui nous apparaît comme différent de nous ?
Ainsi Michael Madsen tend irrémédiablement non pas à préférer la forme au fond mais à privilégier l’expression visuelle d’un certain imaginaire lié à l’espace, c’est à dire l’aspect fantasmé qui lui est lié, qu’à illustrer de réelles réponses. Les extrêmes ralentis donnent ainsi lieu à des séquences purement illustratives et parfois abstraites censées exprimer visuellement les émotions liées aux questions sur notre place dans l’univers et notre rapport à l’autre. Le but est de nous faire ressentir ces thèmes autant que nous les faire comprendre. Ainsi se justifie la prégnance de la voix off où les discours des intervenants s’illustrent à l’image. Sur ce point on note tout particulièrement la sublime séquence illustrant le fantasme d’un intervenant énonçant à voix haute, les yeux fermés, son entrée dans le vaisseau alien.
Par cet attachement au rêve, The Visit réussit à retranscrire grâce à l’emploi de nombreux artifices cinématographiques, le sentiment d’infini lié à ces questions. Michael Madsen s’attache par ailleurs surtout à poser des questions, à réfléchir sur ce qu’il faudrait faire autant logistiquement que d’un point de vue éthique et moral si nous étions confrontés à une nouvelle forme de vie. Mais à l’image de ces nombreuses interview où les intervenants sont montrés impuissants à répondre à certaines injectives, les réponses concrètes sont rares et The Visit prouve le manque total de considération envers la probabilité d’un tel événement. Ce manque de réponses est ainsi concrètement contrebalancé par les multiples mises en images abstraites qui tentent quant à elles de donner des réponses. La peur, le doute, l’effroi, tout un réseau d’émotions que le réalisateur illustre notamment par des personnages qu’il enferme dans un espace entièrement sombre, jouant de différents éclairages et d’un découpage lancinant.
Le public semblait un peu désarçonné par la forme de ce documentaire, en particulier avec l’humour introduit dans les interview (Madsen appuie sur les temps mort pendant les entretiens, exploitant la difficulté des intervenants à réfléchir à de telles questions). Cette importance de l’intervention du réalisateur dans le documentaire est en effet assez inédite et rare dans le genre. Clairement, Michael Madsen tente d’accéder à une réalité qui n’est pas seulement scientifique mais aussi émotionnelle et métaphysique. Les illustrations font avancer le propos en même temps qu’elles participent au sentiment de temps suspendu. Le temps s’arrête et nous entrons dans quelque chose d’autre. Comme il est dit durant The Visit, au moment ou l’on admet la possibilité d’un inconnu, la réalité s’élargit. C’est exactement ce que tente de faire le film, imaginer l’inconnu, représenter le fantasme de l’inconnu et élargir ainsi la réalité de notre savoir concernant cet inconnu.
007 Spectre
Le titre « Spectre » de ce nouvel opus de 007 incarne à lui seul la note d’intention de Sam Mendes sur James Bond, d’un côté un réinvestissement moderne du mythe, reprenant ici une figure centrale de la saga (Spectre, le grand méchant ici incarné par Christoph Waltz), de l’autre un attrait pour tout une gamme d’enjeux et de symboles plus complexes (Spectre incarnant la mort, les fantômes, la part d’ombre de Bond) qui, aussi passionnants soient-ils, peine ici à trouver un équilibre avec le cahier des charges imposé par la franchise.
SPECTRE : Apparition fantastique et effrayante d’un mort. Des morts, il y en a partout dans 007 Spectre. Prenant comme point de départ le Jour des Morts, cette immense fête nationale où le peuple mexicain se réunit dans la rue, paré de déguisement mortuaire, le nouvel opus de James Bond établit une dynamique entièrement motivée par des personnages d’outre-tombe, de la défunte M qui lance Bond dans sa quête, à la mort d’un proche de Madeleine qui la poussera à suivre notre agent secret, les morts hantent l’écran de toutes parts, jusqu’à ces photos d’anciens ennemis et amis que Oberhauser dispose autour de Bond. Comme l’indique le message qui précède le début du film : « Les morts sont vivants ».
Au milieu de ce ballet mortuaire, James Bond semble conserver tout du long son masque de squelette qu’il portait pour le Jour des Morts. Complètement immergé dans sa mission, le personnage si torturé interprété par Daniel Craig dans les précédents épisodes semble ici abandonné au profit de l’homme d’action déterminé, quasi obsessionnel dans son désir de réussite. Comme il l’avouera à Madeleine, James Bond ne s’est jamais arrêté pour réfléchir à ses motivations. Le spectre, c’est aussi lui. Comme l’indique l’affiche du film qui voit Bond être surplombé en arrière plan par son masque de squelette, 007 n’existe que pour ses missions et à l’image de son appartement vide et sans personnalité, il semble que l’homme sous le masque soit bel et bien mort.
Ainsi, 007 Spectre est un opus beaucoup plus classique dans son fond mais Sam Mendes parvient habilement à questionner la quête de justice obsessionnelle de Bond. Lors d’une très belle scène avec Madeleine, il admet la possibilité de changer de vie avant d’être de suite rattrapé par cette dernière lors d’un combat des plus âpre. Plus tôt cette année, Mission Impossible : Rogue Nation interrogeait astucieusement le personnage de Ethan Hunt sur ses réelles motivations, mettant en perspective l’aspect sériels de ces blockbusters où chaque épisode les voit risquer leur vie. Que ce soit Ethan Hunt ou James Bond, les deux n’échappent pas à cette question cruciale : pourquoi continuer encore et encore ? Par patriotisme ? Si Christopher McQuarrie se contentait de poser cette question sur le personnage de Tom Cruise : est-il au fond un patriote dévoué ou un mercenaire drogué à l’adrénaline ? Sam Mendes va adopter une voie plus définitive : avouant qu’il n’a jamais eu le choix et qu’il ne s’est jamais arrêté pour y penser, James Bond va au contact de Madeleine examiner la possibilité de tout arrêter et peut être même d’enlever son masque de squelette… en un mot, de renaître à la vie.
SPECTRE : Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion. Pour cela, il va devoir se débarrasser de son ennemi ultime incarné par Christoph Waltz. Dans la droite lignée du précédent opus qui explorait le passé familial de Bond, et dans la lignée du run incarné par Daniel Craig se faisant presque psychanalytique dans son approche du personnage, le grand méchant de 007 Spectre est une nouvelle fois un « ennemi intime ». Sans motivation claire, délesté de tout ce qui faisait le sel de grand méchant grandiloquent « à la James Bond » (la bague, le chat persan), Oberhauser n’est ici qu’un pantin agissant comme le dernier vestige qui empêche Bond de s’autoriser à s’arrêter.
Malheureusement, ce recul que prend Bond sur lui-même grâce à Madeleine n’est au final qu’une sous intrigue, 007 Spectre laissant souvent place à un récit des plus confus et répétitif. Une nouvelle fois James Bond ne peut faire confiance à son propre gouvernement et devra resserrer au maximum son réseau d’alliés et surtout faire cavalier seul contre l’Organisation. Une nouvelle fois, il y aura deux femmes dont l’une qui sera au centre de l’enjeu final. La brute épaisse mutique, seul véritable vestige de l’héritage de la franchise (les gadgets ont disparus) est balayé rapidement et si Sam Mendes s’appuie de nouveau sur un très grand directeur photo (on retrouve l’attrait pour les tons jaunes et beiges du directeur photo de Her et Fighter), Hoyte Van Hoytema n’est pas Roger Deakins et peine à recréer de vrais instants de cinéma par le seul pouvoir de ses images. Aucune scène d’action n’est véritablement impressionnante, et si l’ensemble n’est pas déplaisant, la mise en scène classieuse et les sous-intrigues passionnantes ne donnent pas justice à ce qui ressemble à la fin d’un cycle pour l’ère Daniel Craig.
Yakuza Apocalypse
Synopsis: Kamiura est un chef Yakuza légendaire. On dit qu’il est immortel, en fait c’est un vampire, un chef Yakuza vampire ! Kageyama est le plus fidèle membre de son clan, mais les autres yakuzas se moquent de lui : sa peau est trop sensible pour être tatouée. Un jour, des hommes arrivent de l’étranger et lui délivrent un ultimatum : Kamiura doit retourner à un syndicat du crime international qu’il a quitté ou mourir. Kamiura refuse et son corps est démembré au terme d’une bagarre féroce. Avant de mourrir, Kamiura arrive à mordre Kageyama, lui transmettant ses pouvoirs. A son réveil Kageyama, va se servir de ces pouvoirs pour venger la mort de son chef et combattre ce syndicat international du crime.
Le nouveau film de Takashi Miike contient toutes les tares du cinéma de son auteur et toutes ses qualités. En résulte un film bâtard, très convenu dans sa première moitié avant de verser sans retenue dans la comédie potache façon Sushi Typhoon dans la seconde. Nouvelle folie sans queue ni tête de Miike ou vrai film intègre du début à la fin ?
Quoi qu’en disent ses détracteurs, Takashi Miike n’a pas seulement prouvé son talent de cinéaste au sein de ses œuvres dites sérieuses comme 13 Assassins ou sa version d’Hara-Kiri, des films comme Ichi the killer ou Sukiyaki Western Django par exemple, versaient pleinement dans l’hystérie si caractéristique de leur auteur sans pour autant se détourner de leur concept et en restant fidèles aux univers qu’ils mettaient en place. Parce qu’au fond, qu’est-ce qui différencie un Sono Sion comme Why don’t you play in hell ?, qu’on pourrait ranger dans la même catégorie de « folie japonaise », d’un Takashi Miike comme Dead or Alive ? Tout simplement la tenue générale de l’entreprise. Même si Sion est clairement un cinéaste impulsif, ne refrénant jamais ses idées et ses envies, aucun de ses films ne fait vriller les thèmes qu’il choisit d’aborder en premier lieu. Du début à la fin, et malgré les nombreux personnages, les multiples intrigues et rebondissements, Why don’t you play in hell ? est et reste un jeu sur la fiction et une déclaration d’amour envers celle-ci et l’acte de filmer (tout est dit dans ce plan du travelling avec la caméra dans une main et la mitraillette dans l’autre). Conserver une logique, une intégrité par rapport à son sujet et l’envie de cinéma qui sous-tend le film, ce que Miike parvenait à faire dans son sublime Big Bang Love, Juvenile A mais manqua à nombre d’autres occasions, détruisant souvent ce qu’il proposait initialement. Si on pouvait apprécier cette démarche dans Dead or Alive, le final en mode DragonBall prenant véritablement à court le spectateur, on est dorénavant plus vraiment surpris par ce genre de retournement dans son cinéma. Yakuza Apocalypse est malheureusement totalement dans cette veine schizophrénique, se scindant de nouveau en deux films distincts. D’un côté un récit intéressant sur la révolte des habitants contre les yakuzas, de l’autre le combat infernal entre un vampire indestructible et un homme grenouille.
Difficile de ce fait d’envisager Yakuza Apocalypse comme une seule œuvre tant les deux pans se contredisent. D’un côté, un récit tendu et légèrement déluré, de l’autre une bouffonnerie hilarante que n’aurait pas renié le Yoshihiro Nishimura de Vampire Girl vs Frankenstein Girl (ici c’est Kermit The Frog vs The Yakuza Vampire). Reste de ce film double et à moitié raté, quelques séquences marquantes comme on en trouve dans tous les films de Miike. Ici, on notera tout particulièrement une séquence ou se mêlent absurde et malaise alors que des hommes sont attachés entre eux dans l’arrière-cour d’un bar miteux, occupés à faire de la couture jusqu’à ce que le patron vienne leur écraser les pieds pour tester leurs réactions afin d’en choisir un pour l’égorger dans la pièce voisine. L’hystérie du cinéma de Miike est à prendre ou à laisser, soit elle surprend et impressionne, soit elle lasse et ennuie.
Tout comme le film qu’il présenta à l’Étrange Festival l’année dernière, Over my dead body, Takashi Miike peine à trouver un rythme aux histoires qu’il veut raconter. C’est d’ailleurs intéressant, et peut être un peu subjectif, d’attester que dans les meilleurs travaux du cinéaste compte deux œuvres au format plus court. En effet, l’épisode qu’il réalisa pour la série des Masters of Horror intitulé Inprint (le seul épisode jugé trop choquant pour être diffusé, excusez du peu) ainsi que le moyen-métrage issu du film à sketches 3 extremes profitent au maximum de la durée resserrée du média qu’ils investissent, Miike apprivoisant ce temps réduit avec brio. Forcé à être plus rigoureux dans la tenue de son scénario, ces deux sublimes moyens-métrages confirment l’excellence du réalisateur lorsqu’il doit se refréner et synthétiser ses idées.
Yakuza Apocalypse, sur ses deux heures de durée, ne parvient évidemment pas à contrer cette tendance à la dispersion et ennui autant qu’il amuse. Le film devient en effet véritablement plaisant dès lors qu’il abandonne son sérieux malvenu pour verser corps et âme dans le débile profond, moquant la culture américaine (de E.T. à Twilight) et le monde des yakuzas. Un résultat timoré donc et une petite déception venant d’un réalisateur trop prolixe pour viser juste la plupart du temps. Cela ne nous empêchera pas de garder un œil sur chaque nouveau délit du monsieur, qui sait, quelqu’un aura peut être la brillante idée de lui commander un moyen-métrage…