Mes films favoris de l’année passée!
J’avais peur que mes films favoris de 2017 soient tous américains mais au final, un australien et un anglais sont dans le top 3 et un espagnol, un chilien et un belge le concluent. C’est quelque chose qui ne cesse de me surprendre: l’art est partout, de toutes les couleurs, dans toutes les langues, sous toutes les formes. Des artistes, nés à des millions de kilomètres de chez moi, ayant vécu des vies totalement différentes de la mienne, peuvent me parler, m’émouvoir. Tous les films de ce top sont la preuve qu’il existe quelque chose qui nous relie tous, des peurs, des désirs, des solitudes, des affections, des histoires. Comme Sense8 me l’a si justement rappelé cette année: « Love is art made public ».

10 – MESSAGE FROM THE KING, Fabrice du Welz

Fabrice du Welz est un cinéaste que j’affectionne énormément. Pour cet essai américain, il livre un polar âpre et désabusé dans lequel transparaît tout son goût pour les personnages qui s’engouffrent dans des quêtes désespérées, des fuites en avant qui tournent rapidement au voyage intérieur. Pour moi, Message from the King est un véritable film de contrebandier (pour reprendre le terme de Scorsese) tant le réalisateur belge parvient à dynamiter la marge de manœuvre réduite qui lui est accordée (codes du genre, budget serré) pour livrer un film qui ne ressemble qu’à lui. Son Los Angeles est terrifiant, véritable enfer urbain qui trouve son identité dans son absence d’identité, broyant des âmes du matin au soir et suintant le vice par tous les pores. Parmi ces âmes meurtries, Teresa Palmer confirme, après TU NE TUERAS POINT (mon film préféré de 2016), qu’elle est une grande actrice: véritable « street angel » abîmé, mère battante en bout de course, elle forme avec Jacob une union d’entre-aide simple et ordinaire, faisant éclore discrètement la lueur d’espoir silencieuse qui soupire dans le caniveau dans lequel ils se débattent.
9 – JACKIE, Pablo Larrain

J’ai vu peu de films être aussi dépendants de leur bande-son. Le score de Mica Levi pour JACKIE n’est pas un ornement, c’est son identité. Elle vient donner un rythme, une puissance, une ampleur à l’errance de la Première Dame qui, dans les jours qui suivent l’assassinat de son mari, tente de surmonter sa perte et consolider l’héritage de ce qu’ils ont construit ensemble. On est loin du biopic classique, vous n’apprendrez rien ou presque sur l’état du pays à ce moment, Pablo Larrain resserrant toute l’intrigue sur le deuil solitaire de Jackie, préférant les déambulations mélancoliques aux délibérations politiques. J’ai aimé sa démarche dans le sens où, au final, dans le choc monumental qu’à été cet événement, le sort de Jackie a été (peut être à raison) plus ou moins ignoré. Autour d’elle, tout le monde l’a déjà oublié. Il faut avancer, aller de l’avant, et Jackie n’est pas prête. En elle se joue donc aussi les tourments d’un pays qui doit faire son deuil et continuer sa route. Petite et grande Histoire se mêlent ainsi, sur le visage figé et froid de Natalie Portman, bouleversante.
8 – COLOSSAL, Nacho Vigalondo

Anne Hathaway découvre qu’un monstre géant, à Séoul, reproduit ses gestes à l’identique. Moitié Kaiju eiga, moitié drame indé façon Sundance, COLOSSAL est avant tout une fable ludique sur le passage à l’âge adulte ainsi qu’un joli portrait de femme en pleine crise existentielle. J’aime le fantastique qui utilise ses codes pour parler de choses intimes (ce sera aussi le cas avec mother! dont je parlerais un peu plus loin), l’idée est ici d’imaginer comment quelqu’un repenserait la façon dont il vit sa vie si chaque mouvement, chaque geste, chaque parole envers un proche, pouvait causer la mort de millions de personnes. Grâce à ce monstre qui donne une portée terrible à tous ses actes, Gloria va, bien sûr, être amenée à réfléchir à la portée de ses actions, mais surtout, elle va se rendre compte du pouvoir de ses derniers. Là où le film aurait pu très rapidement virer au conte moralisateur, il porte au contraire un message plein d’espoir sur cette puissance qui sommeille en nous et que nous ne cessons de réprimer. Le film de Vigalondo n’est pas parfait mais il a un cœur énorme et son échec en salles est bien regrettable, jetez vous dessus!
7 – SILENCE, Martin Scorsese

Ce n’est pas un film facile, de par ses thèmes, sa durée, il se mérite le SILENCE de Scorsese. Mais quel film! Le cinéaste américain déplace ses questionnements religieux en plein Japon du 17e siècle, travaillant les thèmes de la Foi, de la responsabilité de l’Eglise et de la valeur des symboles religieux dans un récit épique où les hommes combattent autant des idées, des croyances, que la nature furieuse dans laquelle ils débarquent. Seul bémol, le choix d’Andrew Garfield qui n’a, pour moi, pas les épaules pour un tel rôle (surtout lorsqu’on le compare à Adam Driver qui est impérial de bout en bout). Certains regrettent le parti pris du dernier tiers (la voix, ceux qui ont vu le film comprendront), je le trouve si audacieux que ça force le respect. Silence n’est pas un film à thèse, s’il est bourré de doute, il reste un vibrant réquisitoire pour la Foi à travers l’adversité.
6 – THE LOST CITY OF Z, James Gray

Fidèle à lui-même, James Gray signe un film où l’hommage au cinéma classique américain se mêle à ses thématiques favorites que sont la famille et le rapport au père. Au delà de ces dernières, c’est bien le thème de la passion qui m’a le plus intéressé, une passion qui prend le pas sur tout, qui détruit en même temps qu’elle fascine et inspire. Percy rêve de sa citée perdue, nuit et jour, éveillé ou endormi. Comme dans Silence, cette idée de la Foi s’étend bien au-delà d’une croyance religieuse, c’est une vocation qu’on ressent au plus profond de son être et qui ne cesse de nous habiter et nous tourmenter. La musique, la photo de Darius Khondji, l’interprétation habitée de Charlie Hunnam et la mise en scène ample et élégante de Gray en font un grand film qui dépasse aisément son aspect de « film à l’ancienne » (comme le réussissait le magnifique CAROL de Todd Haynes). Sacré morceau de cinéma.
« To dream to seek the unknown. To look for what is beautiful is its own reward. A man’s reach should exceed his grasp, or what’s a heaven for? »
5 – MOTHER!, Darren Aronofsky

Du cinéma libre, furieux, casse-gueule… Unique. Mother! a fait couler beaucoup d’encre. J’en aime les qualités et les défauts. Le surlignage qu’on ne cesse de critiquer chez Aronofsky, pour moi, vaudra toujours mieux que la fausse subtilité qui se veut elle-même vectrice de sens. Mother! est une réflexion désabusée sur le rôle de l’artiste qui doit apprendre à faire passer sa vie privée avant sa vie publique, ce qu’il n’arrive ici jamais à faire, délaissant ses responsabilités de mari et de père au profit de son œuvre et de sa célébrité. Poursuivant son goût pour l’allégorie, l’auteur de The Fountain aime à illustrer littéralement à l’image les tourments intimes de son personnage (comme lorsque, dans une scène d’une incroyable intensité, les contractions de la mère provoquent de véritables tremblements de terre). Justement défendu par Martin Scorsese, Mother! est une oeuvre fragile dont l’audace indéniable mérite à elle seule qu’on s’y attarde.
4 – SONG TO SONG, Terrence Malick

Comme Aronofsky, Terrence Malick est un cinéaste qui ne cesse de faire débat auprès de la critique. Comme Aronofsky, j’aime les qualités comme les défauts de leurs cinémas. Song to song est un puzzle, un labyrinthe de vies porté par une incroyable ambition artistique, celle de raconter une histoire de façon unique et inédite. Les histoires d’amour s’entrechoquent, avancent, renoncent au rythme hasardeux du souvenir que les personnages en ont. Malick capture la vie dans sa plus intime expression, là où chaque événement anodin trouve une signification, là où chaque émotion ressentie participe au Tout, là où le bonheur et le chaos se côtoient dangereusement et forment ensemble l’errance inévitable qu’est notre existence.
Finalement, je crois qu’il n’y a que dans Sense8, que je citais plus haut, Cloud Atlas et Paprika de Satoshi Kon, que j’ai ressenti cette même impression vertigineuse de l’universalité de la vie humaine et de connexion mystique entre les êtres.
Extrait de ma critique pour La Septième Obsession:
« Après la plage paradisiaque de Tree of life où se retrouvaient finalement les Hommes dans une communion finale avec la terre, Terrence Malick a pris soin de ne plus conclure ses films par une réponse aussi nette et affirmée. Knight of cups, probablement son film le plus sombre, ne se risquait même pas à faire entrevoir la lumière au personnage de Christian Bale, le laissant hagard et désespéré dans un paysage désolé. Après trois films d’errances, une seule question semble s’élever au-dessus de toutes les autres : pourquoi continuer à survivre ? À cela, Song to song répond de la plus belle des manières, réitérant le final de Tree of life avec la sobriété qui caractérise ce cycle des interrogations. Alors que le couple que forment Rooney Mara et Ryan Gosling, si évident depuis le début, se retrouve enfin, Malick conclu son cycle sur un baiser. Un simple baiser pour dire qu’au milieu du chaos, ce qui compte, c’est nous. »
« Je voulais vivre. Chanter ma chanson »
3 – BABY DRIVER, Edgar Wright

Je sais que ce que je vais dire peut surprendre mais BABY DRIVER est l’un des films les plus émouvants que j’ai vu cette année. Sous la couche de cool, de maestria visuelle, de références à la pop culture chère à son auteur, il y a un cœur qui s’ouvre de façon pudique et délicate. Baby vit dans un monde de fantasmes, peuplé d’images iconiques et de morceaux de musique si imprégnés dans son quotidien qu’ils viennent le rythmer et lui donner sens. L’art est un refuge autant qu’un filtre au réel, cloisonnant le personnage autant qu’il le protège des menaces qui l’entourent. Cinéphile obsessionnel et maladif, je n’ai pu qu’être bouleversé par ce portrait juste d’un rapport à l’art passé du statut d’échappatoire à celui de mode de vie.
Si ça vous intéresse, j’ai aussi parlé du film ici.
Baby Driver est avant-tout le récit d’un homme qui parvient, auprès d’une femme, à échapper à cette prison comme à la sublimer par son partage avec l’être aimé. Si Edgar Wright avait déjà signé l’une des plus belles romances que le cinéma nous ai offert ces dernières années avec SCOTT PILGRIM, il récidive ici avec l’union entre Baby et Deborah, naïve dans le sens le plus noble du mot. Pour moi, il n’y a jamais rien eu de plus touchant au cinéma que la rencontre de deux solitudes.
« Je t’ai parlé plus ce soir qu’à n’importe qui d’autre pendant un an. »
2 – LOVE HUNTERS (Titre original: HOUNDS OF LOVE), Ben Young

Un couple de serial-killers australiens kidnappent une nouvelle adolescente. Ligotée dans une chambre donnant vue sur la cuisine, elle va être le témoin de l’implosion progressive du couple.
C’est le choc sensoriel de l’année, un huit-clos tendu où les pulsions de mort et d’amour se mêlent à tout instant et où la violence n’est que l’expression tragique d’une impuissance. J’avais toujours rêvé de voir ce film, de voir des êtres aussi abjects traités avec autant d’empathie. J’avais toujours rêvé de voir un cinéaste parvenir à rendre sensible à l’image ce qui motive les actions les plus terribles et rappeler une bonne fois pour toute que les monstres n’existent pas: il n’y a que des êtres qui souffrent, tout le temps, partout, qui font du mal, qui ont mal, qu’importe, ils souffrent et aucun film ne l’a aussi bien dépeint que LOVE HUNTERS. Grandiose.
Extrait de ma critique pour La Septième Obsession:
« À mesure que nous suivons la jalousie grandissante de la femme, la tromperie secrète de son mari, ses mensonges, ses manipulations pour conserver son emprise venimeuse sur sa compagne, le réalisateur parvient à montrer comment cette relation extraordinaire repose finalement sur des émotions simples et qui nous sont viscéralement familières. Si le film choisit de ne pas montrer les sévices subis par la victime, c’est pour focaliser toute son attention sur la violence psychologique au cœur du couple. À ce titre, la lente remise en question de la femme concernant l’amour que lui porte son mari constitue l’un des plus bel arc narratif que le cinéma nous ait offert ces dernières années. Époustouflante, Emma Booth réussi, malgré ses exactions, à faire naître une empathie totale pour son personnage qui se révèle être tout autant prisonnière que la jeune adolescente, constituant un cas clinique de dépendance amoureuse. »
« Véritable coup de maître, Love Hunters traduit magnifiquement comment l’amour fou peut engourdir la conscience et annihiler l’identité. D’un réalisme souvent sordide, il constitue l’une des plus douloureuses plongée dans l’intimité de l’amour meurtrier. »
En bonus, une citation tirée de mon entretien avec le réalisateur qui ne cesse de m’obséder depuis: « Souvent, les chaînes les plus tenaces sont celles qu’on ne peut pas voir » (« Often the hardest chains to break are those you cannot see »).
1 – LOGAN, James Mangold

C’est peut être un brin négatif de dire ça mais pour moi, 3h10 pour Yuma et Wolverine: Le combat de l’immortel de James Mangold n’étaient que des brouillons. Des objets imparfaits qui n’étaient voués qu’à une chose: donner naissance à ce chef-d’oeuvre. Logan est détruit, la balle est dans le revolver, il n’a plus qu’à le porter à sa tempe et toute cette souffrance sera finie. Le super-héros est derrière lui, les griffes auparavant héroïques lui brûlent désormais les mains, la vue diminue peu à peu et les coups qu’il portera, ce seront les derniers. Il n’y a qu’une chose, une petite chose un brin envahissante, qui l’empêche de s’en aller. Laura. Mais Laura n’incarne pas l’espoir, c’est plus un passeur (comme Charon dans la mythologie grecque) qui va accompagner cette âme perdue sur la rivière des morts.
Ode funeste déchirante, western dépressif, road-movie nihiliste, LOGAN est un film magnifique qui n’a cessé de grandir au fur et à mesure des visionnages. C’est probablement le film d’action aux combats les plus saisissants que j’ai pu voir ces dernières années (pour moi, c’est bel et bien l’illustration cinématographique des affrontement sensoriels dépeints par Frank Miller dans BATMAN: YEAR ONE ou DAREDEVIL). La fatigue progressive du personnage, faisant de chaque coup un coup décisif, est rendue avec une acuité inédite. La machine est à bout de souffle, en bout de course et ses derniers instants, dans une scène à la simplicité désarmante, constituent la plus belle chose que j’ai vu au cinéma cette année.
Extrait de ma critique pour L’Ecran Fantastique: « La relation de Logan avec Laura est aux antipodes de ce qu’on pouvait attendre de ce type d’alliance incongrue, la gamine ne portant jamais l’espoir d’une renaissance ou d’un pardon pour Wolverine. Logan est un véritable anti-héros, distant, du début à la fin du film. Il est incapable d’affection, impuissant face à des tourments intérieurs qu’il ne parvient jamais à exprimer. C’est là que réside la plus grande ambition de l’oeuvre, jamais cette intériorité maladive n’étant exprimée par des mots mais seulement à travers les images, la lumière et la musique. L’influence derrière ce choix audacieux est à trouver du côté des années soixante-dix et des films américains empreints du désespoir de la période post-Vietnam tels que Taxi Driver ou Macadam à deux voies. À l’instar de ces derniers, Logan ne livre pas toutes les clefs au spectateur mais choisit au contraire de le laisser décider par lui-même. Fortement influencé par le Nouvel Hollywood, James Mangold en profite aussi pour déclarer son amour envers le western classique, citant explicitement L’homme des vallées perdues qui déjà faisait la peinture d’un individu ayant trop apporté la mort autour de lui pour évoluer parmi les vivants. Le réalisateur place donc Logan dans une longue tradition de anti-héros, hantés par leurs crimes et contraints à vivre en marge de la société. Il signe là une ode funeste et déchirante, clôturant avec brio l’arc de Wolverine qui débuta dix-sept ans plus tôt au cinéma. »
« You don’t have to fight anymore »
